- SpaceNut a écrit:
- Tu nous feras une petite "critique" ?
L’homme dans la Lune, de Wilkins
C’est un très intéressant ouvrage qui n’a évidemment plus qu’une valeur historique, car les propos tenus feraient sourire tout amateur intéressé par l’étude lunaire. Il est aussi, toujours d’un point de vue historique, séduisant de revenir sur la genèse de ce livre.
Il a été écrit par John Wilkins, évêque de Chester (Angleterre), en 1638, sous la forme de 2 opuscules : le premier, en 1638, avait pour titre « That the Moon may be a planet – Que la Lune soit une planète », l’autre, en 1639 titrait « That the Earth may be a planet - Que la Terre soit une planète ». Ces interrogations du milieu du 17ième siècle reflétaient la bataille entre le système copernicien, qui datait d’un siècle mais avait du mal à s’imposer, et le système de Ptolémée, soutenu par l’église romaine. Wilkins penchait vers la théorie copernicienne, mais, étant évêque anglican, il ne risquait pas l’accusation infamante d’hérésie, qui, une quarantaine d’années plus tôt, avait conduit Giordano Bruno sur le bûcher. Son livre reprenait les affirmations de ce dernier, à savoir qu’il peut exister d’autres mondes habités.
Le livre de Wilkins étant sorti en 1638, il se vit accuser de plagiat car peu de temps auparavant, Francis Godwin avait fait imprimer « L’homme dans la Lune ou le voyage chimérique de Domenico Gonzales ». Cet épisode est conté par Camille Flammarion dans son ouvrage « Les mondes imaginaires et les mondes réels », dans lequel il passe en revue tous les écrits sur la pluralité des mondes. Ouvrage dont je recommande la lecture à toute personne intéressée par l’évolution des idées de la vie dans les autres mondes.
La lecture des deux livres montre pourtant qu’ils se différencient totalement, l’un étant un roman d’aventures (pas uniquement lunaires d’ailleurs), l’autre étant un essai tentant de démontrer l’existence d’un monde dans la Lune en appelant à la rescousse les savants de l’antiquité, les expériences scientifiques et les écrits des astronomes. Un livre voulant faire un point des connaissances de l’époque sur l’habitabilité lunaire.
L’histoire se pimente une quinzaine d’années plus tard, lorsque le Sieur de la Montagne, en 1655, se met à la traduction du livre de Wilkins, et fait imprimer un ouvrage en 2 parties. La première « La Lune peut être un Monde », la seconde « La Terre peut être une planète ». Vous aurez reconnu les 2 opuscules de Wilkins. Mais si vous lisez ce livre, alors que presque tous les savants depuis l’antiquité sont cités, jamais le nom de Wilkins n’apparait. J’ignore quels étaient les lois fixant les droits d’auteur à cette époque, même si elles existaient sous quelque forme (décrets royaux ?). Aujourd’hui La Montagne les aurait allègrement piétinées.
John Wilkins a divisé son livre sur la Lune en 14 propositions. Les voici dans l’ordre :
PROPOSITION I.
Que la Nouveauté de cette opinion, n’est pas une suffisante raison pourquoi on doive la rejeter; parce que d’autres vérités certaines ont été autrefois estimées ridicules, et que les grandes absurdités, au contraire, ont été reçues par un consentement général.
PROPOSITION II.
Que la pluralité de Mondes ne répugne à aucun principe de la Raison ou de la Foi.
PROPOSITION III.
Que les Cieux ne sont pas d’une matière si pure, qu’elle les puisse exempter de la corruption et des changements auxquels sont sujets tous ces corps inférieurs.
PROPOSITION IV.
Que la Lune est un corps solide, épais et opaque.
PROPOSITION V.
Que la Lune n'a aucune clarté d'elle-même.
PROPOSITION VI.
Que plusieurs Mathématiciens tant anciens que modernes ont cru qu'il y a un Monde dans la Lune: et que cela se peut probablement recueillir des maximes de ceux qui sont d'autre sentiment.
PROPOSITION VII.
Que ces taches, et ces plus claires parties que nous voyons dans la Lune, montrent la différence d'entre la Mer et la Terre en cet autre Monde-là.
PROPOSITION VIII.
Que les taches représentent la mer, et les parties les plus claires la terre.
PROPOSITION IX.
Que dans le corps de la Lune il y a des hautes montagnes, des profondes vallées,
Et des campagnes spacieuses.
PROPOSITION X.
Qu'il y a une Atmosphère ou globe d'air vaporeux et grossier, qui environne immédiatement le corps de la Lune.
PROPOSITION XI.
Que comme ce Monde-là est notre Lune, qu’ainsi notre Monde est la Lune de ce Monde-là.
PROPOSITION XII.
Qu’il est bien probable que dans ce Monde-là il y a des Météores semblables à ceux que nous avons dans le nôtre.
PROPOSITION XIII.
Qu’il a bien de l'apparence qu’en ce Monde-là il y a des habitants : mais qu’on ne peut pas dire avec certitude de quelle espèce ils sont
PROPOSITION XIIII.
Qu'il n’est pas impossible que quelqu'un de la postérité puisse découvrir ou inventer quelque moyen pour nous transporter en ce Monde de la Lune, et s'il y a des habitants, d’avoir commerce avec eux.
La première est l’occasion pour Wilkins de démontrer que ce qui a été dit sur les habitants de la Lune aux siècles anciens n’est pas forcément une vérité établie. Il prend comme exemple le problème des Antipodes. Longtemps, les sommités scientifiques de l’époque se gaussaient de l’impossibilité que les Antipodes puissent exister, ne comprenant pas comment des hommes puissent marcher la tête en bas. Certains allant jusqu’à affirmer qu’un homme remuant la terre avec une bêche, voyait celle-ci remonter du trou d’elle-même… A l’époque de Wilkins, les navires avaient fait le tour du globe, et atteint les Antipodes ; Donc, affirmait-il, voyez comment nos Pères se sont trompés, comme se trompent aujourd’hui ceux qui affirment qu’il n’existe qu’un monde, le nôtre.
Mais ce Monde, il fallait qu’il soit en accord avec la Foi et les Ecritures. C’est ce que Wilkins, qui était homme d’église, défend dans sa seconde et troisième proposition. En réalité, il n’exprime pas que les Ecritures, et en particulier la Genèse, interdisent qu’il y ait un monde dans la Lune. Il démontre à l’inverse que rien dans la Genèse n’affirme qu’il ne puisse ne pas y en avoir.
Les propositions de 4 à 12 essaient de situer la Lune sur le plan physique. Car à son époque, beaucoup de questions restaient sans réponses, malgré l’invention de la Lunette quelques dizaines d’années plus tôt. La Lune était-elle un corps solide, ou vaporeux ? Brillait-elle par elle-même, ou renvoyait-elle la lumière du Soleil ? Possédait-elle une atmosphère, ou était-ce celle de la Terre qui allait jusqu’à elle ? Existait-il des terres et des mers ? Des questions dont jusqu’ici, on ne possédait pas la réponse, et sur lesquelles les savants divergeaient. (A noter que les météores de la proposition 12 signalaient à l’époque les phénomènes météorologiques, tels que foudre, vents, pluies, etc.)
Wilkins, ayant répondu par l’affirmative aux propositions précédentes, ayant conclu que la Lune devait ressembler à la Terre, y mets donc des habitants dans sa proposition 13. Mais, il est incapable de les décrire, laissant pour cela du travail aux savants qui viendront après lui.
La proposition 14 est celle d’un possible voyage sur la Lune dans un avenir plus ou moins proche. Sa comparaison est audacieuse. Les Islandais, dit-il, ont longtemps cru ne pas pouvoir quitter leur île, tant la mer était immense et capricieuse. Puis sont arrivés les navires… Pour lui, le même raisonnement s’appliquera à la Lune ; Il écrit même :
«
L’accomplissement d'une telle invention (PS : l’invention est le moyen de rejoindre la Lune) serait d'un si excellent usage, qu'elle suffirait non seulement à rendre un homme fameux, mais aussi le siècle dans lequel il aurait vécu. Car outre les étranges découvertes, qui par le moyen d'icelle se pourraient faire en cet autre Monde-là; elle serait encore d'un avantage inconcevable pour voyager ici-bas, au-delà de toute autre commodité qui soit maintenant en usage. »Ça ne vous rappelle rien ?